Tropicaliser L'agilité

J'avoue avoir été très surpris et enthousiaste lorsqu'on m'a présenté la formation Animacoop d'y voir apparaître le cadre de projet Agile que je pratique depuis longtemps. Après la surprise j'ai ensuite ressenti un malaise dont je n'ai pas compris immédiatement l'origine. C'est après avoir animé ma première session Animacoop à Paris que j'ai commencé à saisir d'où provenait ce malaise.

Cela m'est apparu assez clairement alors que je tentais de croiser l'agilité avec la vision du monde archipélique développé par Eduard Glissant et qui inspire les approches de la coopération d'animacoop. L'intention de ce croisement était de tropicaliser l'agilité et la situer dans Animacoop.

Il faudra que je revienne sur la tropicalisation à un moment. Pour l'instant la définition qu'en donne Yves MENLAN & Jean-Martial TAPE deux chercheurs de l'université de côte d'Ivoire est suffisante quand ils définissent la tropicalisation linguistique.

Ce terme, dérivé du verbe « tropicaliser » qui signifie : adapter, ajuster une chose
selon l'environnement. Aussi c’est adapter à un environnement tropical. En d'autre mot,
c'est rendre convenable au climat du nouvel environnement. De ce fait, la tropicalisation
revient à l'action d'adapter du matériel ou toute autre réalisation technologique aux
conditions environnementales difficiles dans lesquelles il devra fonctionner. Ainsi une
déduction de la définition de cette terminologie adaptée au contexte linguistique
donnerait : « la tropicalisation linguistique » qui est l'adaptation, l'ajustement et la
conversion des terminologies linguistiques issues d'une langue considérée riche
lexicalement en une autre considérée lésée, en mettant à profit les conditions
environnementales et sociales de ces locuteurs.


C'est en mettant face à face les approches et les histoires de l'agilité et de la créolisation que le paradoxe apparaît.

D'un côté Edouard Glissant poête des îles dont l'existance est intimement liée à l'histoire de l'esclavage et qui développe une vision du monde du vivre dans la diversité, sans domination. Une approche de la relation et du lien plus que de la matérialité.

De l'autre, une approche née de pratiques de gestion de projet de développement logiciel élaborée en réaction à des approches déterministes, hiérarchique. De manière assez provoquante, les approches agile, poussent à l'autonomie des équipes contre les dominations hiérarchiques. Elles mettent la relation dans les équipes et avec les bénéficiaires avant la relation contractuelle.

Le premier paradoxe que l'on peut relevé est la popularité qu'a gagné l'agilité au fil des années auprès de multinationales et ceci en totale contradiction avec les approches manageriales et la formation des dirigeants. Une popularité qui gagne maintenant non seulement le développement de services numérique, mais se répend aux organisations des multinationales toutes entières dans des domaines très diverses.

Le second paradoxe est un peu moins peceptible car il nécessite d'avoir vécu aux côtés ou dans les rangs des agilistes et des personnes qui en font la promotion. Dans les années 2000 alors que l'agilité peine à percer comme un ensemble de pratiques efficace, des cabinets, des coachs et des développeurs imaginent des formations et des événements à la fois ludiques et attrayantes pour démultiplier et coloniser les esprits. Ils pénètrent également les grandes entreprises du numérique comme microsoft en france (Les locaux de microsoft paris ont longtemps acceuilli de grands événements dédiés à l'Agilité) et les écoles du numérique. Après la bulle internet, les dirigeants comprennent l'importance du numérique et des directions de systèmes d'informations sont richement dotées et écoutées. Les entreprises du numérique qui portent l'agilité trouvent des oreilles attentives auprès de hauts responsables. Une oreille d'autant plus attentive que l'agilité prouve de projet en projet son efficacité.

L'agilité s'est diffusées lentement par colonisation des esprits, avec une approche d'évangélisation et une approche éthique par les valeurs et les pratiques. Bref, des manières de faire qui séduisent les conquérants et qui réduisent petit à petit des pratiques concurrentes.
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